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Défécation à l’air libre : L’autre visage du marché de Vogan

La ville de Vogan, chef -lieu de la préfecture de Vo, à environ 50 km au sud-est de Lomé, abrite un marché qui compte parmi les plus grands du Togo. Véritable centre économique, le marché de Vogan a été rénové en 2009 par le gouvernement qui y a fait construire plusieurs hangars, des sanitaires et autres infrastructures modernes. Le marché s’anime essentiellement les vendredis et est notamment réputé pour la viande de porc qui y est abondamment vendue et dont raffolent les populations. Lieu de rencontre privilégié entre les populations de la zone et ses environs pour des transactions commerciales, le marché de Vogan, est cependant confronté à un phénomène sournois, dangereux pour la santé : la défécation à l’air libre. L’autre visage d’un marché pittoresque à la réputation légendaire.

Vendredi, jour de marché. Sous des hangars s’étendant à perte de vue, sont installés des marchands de vanneries, de poteries décorées de motifs ésotériques, de produits de la forge, de volailles, de caprins, de porcins, de produits manufacturés et de la terre. On vend à la criée, on interpelle, on discute, on achète … dans un impressionnant brouhaha. Se faufilant à travers les étals, des enfants proposent aux visiteurs des galettes de maïs, des beignets d’haricots, et bien d’autres denrées. Du marché, s’élèvent d’exquis effluves de ces mille et un produits. De quoi donner envie aux amateurs de saveurs fortes.

Derrière le marché, côté ouest, se trouve une immense réserve herbeuse appartenant à la mairie. A cet endroit, un spectacle saisissant attire l’attention. A travers les hautes herbes, on distingue des formes humaines accroupies. Que vont faire là-bas tous ces gens qui vont et viennent sans cesse? Nous posons la question à un homme qui revient des lieux; « Je suis allé faire mes besoins. On vient faire ça ici les jours du marché », nous répond-il, visiblement sans gêne. Pendant que nous discutons avec l’homme, une odeur nauséabonde nous envahit, nous contraignant à aller un peu plus loin. Nous abordons d’autres personnes pour en savoir plus sur cette pratique qui contraste avec la présence des latrines dans le marché. Visiblement, nous ne sommes pas le bienvenu ; tous refusent de nous parler, sans doute intimidés par notre présence. Nous croisons dans la foulée une jeune fille qui se dirige vers les lieux. Nous l’apostrophons mais elle ne peut nous parler, visiblement pressée d’aller déposer son « truc ». A son retour, nous tentons à nouveau notre chance, cette fois à l’abri des regards. Mise en confiance, elle nous confie : «  Beaucoup de gens vont dans la réserve pour faire leurs besoins parce qu’ils se sentent à l’aise là-bas; chez eux, ils n’ont pas de latrines et sont habitués à faire leurs besoins dans la nature; c’est mon cas par exemple; d’autres encore y vont parce qu’ils n’ont pas d’argent pour aller dans les latrines publiques. 35 FCFA, ce n’est peut-être rien pour vous, mais pour nous autres c’est une importante somme ».

Nous prenons congé de notre interlocutrice et entrons dans le marché. Stupéfaction! A quelques mètres de la réserve, un grand bâtiment délabré, abrite plusieurs vendeuses de viande de porc. Des clients se font servir, indifférents au drame qui se joue à quelques pas d’eux. Au fond du marché, nous découvrons l’emplacement des latrines. Pas d’affluence, l’endroit est presque désert. « Les gens ne se pressent pas ici. Je pense que si ces latrines sont construites ailleurs, elles seraient plus utiles », nous explique Kossi Hountodji , chargé de la garde et de l’entretien des latrines. « Les gens ne pratiquent pas ces latrines parce qu’ils ont honte; l’emplacement des latrines (ndlr: au cœur du marché) ne les encourage pas », renchérit un homme venu faire ses besoins. « Les latrines souffrent d’un manque d’entretien. Parfois lorsque vous venez, vous trouvez du crachat ou de l’urine sur le plancher. Plus grave, certains, après avoir fait leurs besoins, laissent leurs excréments dans le pot. L’odeur est souvent insupportable. Alors, les gens préfèrent aller ailleurs », témoigne une jeune femme.

Atson Kodjo, Président de la Délégation spéciale de Vogan ne partage pas ces avis. Pour lui, cette pratique relève tout simplement d’une mauvaise habitude prise par ceux qui viennent au marché.  » Au niveau du marché, il y a deux latrines avec plusieurs cabines et une autre à la périphérie du marché et qui comporte également plusieurs cabines. Alors celui qui ne se sent pas à l’aise pour les latrines qui sont au milieu du marché, peut aller faire ses besoins dans celles qui sont à la périphérie. Si malgré cela, les gens vont faire leurs besoins dans la nature, je dirai que c’est par mauvaise habitude ou par incivisme« , martèle-t-il.

A ceux qui se plaignent du coût des latrines qu’ils jugent exorbitants, M. Atson répond:  » On ne peut pas aller dans les latrines sans la petite contribution. Là-bas, l’eau s’achète, ceux qui gardent et entretiennent les latrines doivent être payés. Disons que les gens ne veulent tout simplement pas contribuer à l’entretien et à la pérennité de ces infrastructures« .

Le président de la délégation spéciale de Vogan s’inquiète par ailleurs des risques de cette pratique: « Si le niveau d’hygiène est bas, la population est exposée à des parasitoses, au choléra et autres maladies diarrhéiques telles que le choléra, la dysenterie etc », prévient-il.

Sowou Kokou agent de santé à l’hôpital de Vogan est plus alarmiste : «  Ces maladies diarrhéiques se manifestent sous forme de flambées épidémiques en cas d’inondations. Le principal facteur de risque de flambée épidémique est la contamination de l’approvisionnement en eau de boisson », explique-t-il. «  Les maladies diarrhéiques ne sont pas les seules causées par les matières fécales ; il y a aussi, la fièvre typhoïde dont la contamination se fait par les eaux ou les aliments à partir des selles infectées ; les hépatites virales aiguës tels que l’hépatite A et l’hépatite E sont également transmis par voie féco-orale et peuvent provoquer de grandes épidémies », ajoute-t-il.

Pour lutter contre le phénomène, M. Atson compte sur la sensibilisation.  » Face à la situation, il y a un travail de sensibilisation qu’il nous revient de faire. A notre niveau, nous nous proposons de redynamiser le comité provisoire des femmes du marché, former une association de ces femmes pour qu’elles nous aident dans ce travail de sensibilisation. Avec cette action, les gens prendront conscience et éviteront d ‘aller déféquer dans la nature », pense le maire de la ville de Vogan.

Gato Albert, président du Mouvement des Jeunes pour le Développement de Vo (MJDV), association très engagée sur les questions d’assainissement dans le Vo, prône la fermeté pour venir à bout de cette pratique qu’il qualifie d’un autre siècle. «  Le temps où nos parents allaient déféquer dans la brousse est révolu. Aujourd’hui, il faut faire ses besoins dans les latrines et nulle part ailleurs ; c’est simple. Et si des gens ne veulent pas comprendre ça, je pense que le seul moyen pour le leur faire comprendre, c’est la force. La mairie doit purement et simplement interdire aux gens d’aller faire leurs besoins là-bas ! », martèle M. Gato Albert.

Président de l’Alliance des Médias pour l’Eau et l’Assainissement (AMEA), M. François Komi Amegninon, voit le problème sous un autre angle et rejoint M.Atson : « Ici comme ailleurs se pose le problème de défécation à l’air libre ; un milliard de personnes font leurs besoins en plein air et deux-mille enfants de moins de cinq ans meurent chaque jour de maladies diarrhéiques, causées par l’absence de toilettes, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (ndlr : OMS). Je pense qu’on doit expliquer aux gens les risques qu’ils courent et font courir aux autres en allant déféquer dans cette réserve », souligne-t-il.

Face aux risques liés à cette pratique, tous les moyens pouvant concourir à son éradication doivent être envisagés. La santé de la population et la renommée du marché de Vogan en dépendent.

 

NONNKPO Kossi

 

 

 

 

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